October 23, 201996

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Le 25 septembre dernier, la Fondation Croix-Rouge française pour la recherche humanitaire et sociale organisait ses deuxièmes rencontres à Paris. Un rendez-vous annuel au cours duquel des chercheurs, lauréats des bourses postdoctorales de la fondation, viennent présenter leurs travaux, dont les résultats sont débattus avec des experts, chercheurs et opérationnels internationaux. À quoi servent ces recherches ? Comment se fait le lien avec les directions métier de la Croix-Rouge française ? Pour bien comprendre, nous avons suivi l’enquête qu’Estelle Fourat a menée durant un an sur les migrants ayant recours aux dispositifs d’aide alimentaire.   Dispositif de distribution alimentaire inter-associatif déployé en urgence à Nantes du 16 juillet 2018 au 2 septembre 2018 pour venir en aide à des personnes exilées en situation de grande précarité. Photo : Adrien Heinz

De septembre 2018 à septembre 2019, Estelle Fourat s’est immergée dans la vie de migrants en Île-de-France – 2 hommes, 2 femmes et 2 familles avec enfants – venant du Mali, de Tchétchénie, d’Afghanistan, de Guinée, en situation de dépendance alimentaire. La chercheure a suivi leurs pratiques alimentaires, en les accompagnant sur différents points de distribution alimentaire en Seine-Saint-Denis (93) : Restos du cœur, le Collectif du p’tit dej à Flandres, Cuisine des migrants et le centre de distribution de colis de la délégation Croix-Rouge de Saint-Denis. Ce projet de recherche intitulé « MIGRALIM : représentations et usages de l’aide alimentaire chez des primo- arrivants demandeurs d’asile en France » a été sélectionné par la Fondation Croix-Rouge française, répondant ainsi à une demande de la direction des activités bénévoles et de l’engagement (DABE), et a bénéficié de son accompagnement, la Croix- Rouge française en assurant le financement. « Notre demande initiale visait à mieux connaître les habitudes alimentaires de ces populations en vue d’améliorer leur accès à l’aide alimentaire et d’adapter nos dispositifs à leurs besoins réels », explique Valérie Bettinger, responsable du pôle Aides matérielles et financières à la DABE.

 

Constats et pistes d’action

En effet, en donnant la parole aux usagers de l’aide alimentaire, en partageant leur quotidien dans la durée, Estelle Fourat a pu faire un certain nombre de constats :
« Les décalages entre les aliments distribués et les possibilités de les cuisiner sont fréquents, par exemple les personnes n’ont pas toujours de moyen de cuisson ou de stockage. La méconnaissance des préférences alimentaires et le manque de produits de base tels qu’épices et condiments, très prisés, sont également avérés. En revanche, les individus font preuve d’une grande capacité d’adaptation, en  » bricolant  » des recettes selon leurs goûts, en faisant des échanges ou en concoctant des plats à plusieurs lorsqu’ils ont un réseau. » Pour Florent Clouet, chargé de mission Coordination migrants, « ces observations nous éclairent sur la dimension sociale et culturelle très forte de l’aide alimentaire. Il y a autour de l’alimentation beaucoup de solidarité et de convivialité. » « L’alimentation est créatrice de lien social, la chercheure le confirme : par le plaisir de cuisiner et de manger ensemble ; l’entraide
autour de la cuisine recrée une certaine normalité, rappelle les traditions culinaires et favorise la « renarcissisation » recherchée. »

D’une logique de survie à une logique « d’accueil alimentaire »

Il ne s’agit donc pas de penser la nourriture uniquement comme apport de calories assurant la survie, mais de s’inscrire dans une « logique d’accueil alimentaire », préconise la chercheure qui imagine une autre façon de penser la solidarité, « en promouvant, par exemple, le bénévolat des migrants durant les distributions pour favoriser leur prise d’autonomie mais également bénéficier de leurs connaissances (en langues, sur les us et coutumes, etc.) ». Des outils pourraient par ailleurs être inventés, tels qu’une vidéo « illustrant des situations clés rencontrées dans les distributions alimentaires, les écueils à éviter et les possibles à favoriser », dans le but de croiser les savoirs des migrants et des bénévoles. « Il s’agit, globalement, de mieux accompagner ce public très volatile, dont nous ignorons souvent la culture et les représentations de l’aide alimentaire. Les bénévoles se sentent parfois désemparés par la barrière de la langue, par les habitudes et les pratiques alimentaires de ces populations d’origines très différentes, etc. », estime Valérie Bettinger. « Cette immersion dans la durée est une méthode inédite. Estelle Fourat a ainsi une compréhension des parcours alimentaires des personnes migrantes qui va nous permettre d’explorer de nouveaux axes d’amélioration de nos dispositifs d’accompagnement vers l’autonomie », conclut Florent Clouet.

Créer des ponts

Passer d’une logique de survie alimentaire à une logique d’accueil alimentaire implique de favoriser les processus de socialisation des personnes migrantes, en créant des ponts avec d’autres réseaux d’activité de la Croix-Rouge française et en les intégrant dans les réflexions menées. Les réseaux sociaux jouent également un rôle primordial dans l’appropriation de l’aide alimentaire, car les parcours migratoires sont souvent marqués de ruptures, géographiques ou sociales. Estelle Fourat, chercheure

Répondre à des besoins opérationnels

Tel est bien l’objectif de la collaboration avec la Fondation Croix-Rouge française : renforcer l’utilité sociale de nos activités, traduire des résultats scientifiques en solutions pratiques. « La fondation est une passerelle entre les acteurs de la solidarité et les chercheurs. Elle a pour vocation de traduire des problèmes opérationnels, exprimés notamment par les différentes directions métiers de la Croix-Rouge française, en problématiques scientifiques, dont le traitement est confié à des chercheurs indépendants. En retour, la fondation travaille à transcrire les résultats scientifiques en recommandations pratiques, utiles à l’action et selon la notion de bien commun », explique Vincent Leger, chargé de recherche à la Fondation Croix-Rouge française. Créée en 2017, celle-ci a ainsi soutenu et continue à construire des dizaines de projets de recherche en métropole, dans les territoires ultra-marins et en Afrique subsaharienne dans différentes disciplines. Une mission encore méconnue en interne alors qu’elle attire chaque année davantage de candidatures de chercheurs, pour qui les missions de la Croix-Rouge française constituent un formidable terrain d’exploration !

Table-ronde sur les risques climatiques avec, de gauche à droite, Sandrine Revet (Centre de recherches internationales, Sciences Po Paris), Anne-Cécile Bras (journaliste), Mariama Nouhou Koutcha (Université islamique de Say au Niger), Georges Djohy (Université de Parakou au Bénin) et Thuy-Binh Nguyen (direction des relations et des opérations internationales). Photo Nicolas Beaumont

2E RENCONTRES DE LA FONDATION POUR LA RECHERCHE HUMANITAIRE ET SOCIALE

Lors de cette journée, huit chercheurs de la promotion en cours sont venus présenter les résultats de leurs travaux autour des thématiques suivantes :

  • changement climatique,
  • accès aux soins,
  • autonomie alimentaire.

Un panel d’experts internationaux issus du Mouvement Croix-Rouge et Croissant-Rouge, d’ONG internationales, d’institutions partenaires et de bailleurs de fonds ont participé aux trois-tables rondes.
Lors de ces rencontres, la Fondation Croix-Rouge française a également remis ses Prix de recherche 2019.

Géraldine DROT
4La recherche au service de l'action