Progression dans le chapitre
Souvenez-vous de ces grèves à répétition dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) qui ont secoué l’hexagone durant l’été 2017. Nourri des inquiétudes des acteurs du secteur, le débat relatif à l’accompagnement des personnes âgées n’a cessé d’enfler depuis, conduisant, fin 2018, au lancement d’une concertation « Grand âge et autonomie » pilotée par Dominique Libault, président du Haut conseil du financement de la protection sociale.
Au terme de six mois d’échanges avec les acteurs du secteur et les citoyens, un rapport a été remis en mars à la ministre des Solidarités et de la Santé, Agnès Buzyn, comprenant 175 propositions. Celles-ci visent à passer « de la gestion de la dépendance au soutien à l’autonomie » afin de mieux accompagner nos aînés. De quoi alimenter, qui sait, la future loi « Grand âge et autonomie » attendue pour début 2020. Une loi qui devrait également s’inspirer de la mission sur l’âgisme, confiée à la députée Audrey Dufeu-Schubert, et de celle sur l’attractivité des métiers du grand âge attribuée à l’ancienne ministre du Travail, Myriam El Khomri.
Forte d’une tradition d’accompagnement des plus fragiles sur le terrain par des équipes de professionnels et de bénévoles, la Croix-Rouge française s’est particulièrement impliquée dans le débat. Participation active à la concertation menée par Dominique Libault, audition par Audrey Dufeu-Schubert, intégration au comité de pilotage de la mission El Khomri… Objectif de l’association : porter haut et fort son appel à « une société transversale et inclusive de la fragilité », par-delà les âges.
Fin septembre, la Croix-Rouge française a remis son plaidoyer, respectivement à Myriam El Khomri, Dominique Libault et Marie-Anne Montchamp, présidente de la Caisse nationale de la solidarité pour l’autonomie (CNSA), dans lequel elle présente 14 propositions concrètes et des engagements.
De véritables parcours de soins
Il est indispensable de reconsidérer la personne fragile comme source de potentialités pour notre société. […] Il nous faut repenser notre modèle d’organisation des soins, construire de véritables parcours de soins, car la catégorisation par l’âge ou par la pathologie n’a plus de sens.
ZOOM
PREMIÈRES ASSISES DE LA LONGÉVITÉ
Dépendance, autonomie, liberté, interdépendance… De quoi parle-t-on? Est-on vraiment autonome quand sa voix ne compte plus du fait de son âge ? Qu’est- ce que la liberté quand vos enfants peuvent vous interdire de conduire au seul motif qu’ils vous trouvent trop vieux ? À quoi sert-il d’être autonome si c’est pour vivre la solitude chaque jour? Y a-t-il d’ailleurs des personnes « dépendantes » plus libres que des personnes debout sur leurs deux jambes ? Autant de questions qui ont animé les premières « Assises de la longévité » organisées à Nîmes les 25 et 26 septembre derniers par l’Institut européen des métiers de la longévité (I2ML) en partenariat avec la Croix-Rouge française notamment. Professionnels du secteur, représentants des tutelles, citoyens de tous âges… 250 à 300 personnes étaient présentes à l’événement. L’occasion, pour la Croix-Rouge française, de mettre en lumière son appel à une véritable « société de la longévité ».
Animées par le sociologue Serge Guérin (à gauche sur la photo), ces deux journées ont été rythmées par des interventions plénières et des ateliers interactifs autour du thème de la liberté. Dominique Libault (à droite), auteur du rapport du même nom, était également présent à Nîmes.
Pointant le défi sociétal que représente la prise en compte du vieillissement de la population, le Professeur Jean-Jacques Eledjam a souligné l’engagement de l’association sur cette thématique, visant à redonner une place entière à la personne fragile dans notre société, à considérer ses potentialités plutôt que ses faiblesses.
Attractivité des métiers et place des seniors dans la société
La délégation nationale Padom – Personnes âgées et domicile – de la Croix-Rouge française a apporté une large contribution aux deux missions menées conjointement sur l’attractivité des métiers et sur la place des seniors dans notre société. Renforcer la place des seniors dans la vie de la cité et des établissements, valoriser leurs capacités plutôt qu’agir selon leur degré de dépendance, valoriser les professionnels engagés auprès de ces publics fragiles, tels sont quelques-uns des engagements forts pris par l’association.
Entretien avec Johan Girard, délégué national des filières Personnes âgées et domicile à la Croix- Rouge française.
Dans son plaidoyer, la Croix-Rouge française appelle d’abord à un changement d’approche sémantique concernant les seniors. Pourquoi est-ce essentiel selon vous ?
JOHAN GIRARD : Quand on parle grand âge aujourd’hui, on pense perte, dépendance, inutilité, retraite… Qualifier une personne de dépendante c’est, inévitablement, ne plus reconnaître ses droits, sa liberté de penser et de choisir son parcours de vie. La sémantique et le champ lexical utilisés sont le reflet de la perception des seniors par la société et impactent au quotidien les modes de penser, les façons d’agir, les modalités de formation des professionnels, la manière de conceptualiser l’accompagnement au sein des établissements ou des services à domicile, la façon de financer cet accompagnement, etc. Changer de langage serait synonyme d’un premier élan vers le changement de regard porté sur la perte d’autonomie et sur la valorisation des capabilités des personnes dites « âgées ».
Qu’entendez-vous par « capabilités » ?
J.G. : J’emploie ce terme, plutôt que celui de « capacités » – très emprunt, dans le secteur, d’un prisme médical – pour mettre en lumière le fait que toute personne, quels que soient son âge, ses fragilités, est un citoyen, capable de dire oui ou non, de penser et choisir, d’agir… Appréhender et reconnaître les capabilités des plus vulnérables permettrait de considérer la vulnérabilité comme source d’opportunités et non de peurs ou de menace. Cette approche nous appelle aussi à repenser la place de l’âge. L’absence de catégorisation par l’âge ou par la pathologie permettrait de ré-humaniser la personne, de la réhabiliter comme citoyen à part entière. Ce qui nous appelle aussi à repenser notre accompagnement des plus fragiles, en partant des trajectoires de vie, de manière plus personnalisée et en fonction de leurs besoins réels.
Le plaidoyer de la Croix-Rouge française porte des propositions concrètes visant à enrichir le débat dans le cadre de la future loi « Grand âge et autonomie ». Pouvez-vous nous en dire plus ?
J.G. : Nous mettons en avant notre souhait de voir changer l’image et la place des personnes âgées dans notre société – d’où, par exemple, notre proposition de création d’une délégation interministérielle à l’autonomie. Nous insistons aussi sur la nécessité de renforcer la formation, l’attractivité des métiers et l’accompagnement des professionnels du grand âge, notamment via la revalorisation salariale, la construction de parcours de carrière, le renforcement des évolutions professionnelles grâce à l’activité de coordination pour les aides à domicile et les aides-soignants. Nous proposons aussi de réorganiser notre système de santé et les financements associés, sous l’angle de parcours de vie plutôt que selon des parcours liés à l’âge. Nous militons également pour passer d’une logique de lits à une logique « domiciliaire », pour renforcer les ratios d’encadrement à domicile comme en établissement, ou encore pour une meilleure reconnaissance de la place des aidants. Ce sont autant d’enjeux essentiels à nos yeux.
La Croix-Rouge française a déjà lancé divers projets en matière d’accompagnement des plus fragiles. Pouvez-vous nous en parler ?
J.G. : La Croix-Rouge porte effectivement en ce moment trois grands projets en la matière. Le projet CŒUR Croix Rouge – pour COmité d’Expression des Usagers en Région – visant à renforcer la place des personnes en situation de fragilité dans l’expression de leurs souhaits, attentes et regards. Ces espaces d’expression doivent permettre à ceux que nous accompagnons d’être véritablement acteurs de notre projet associatif. Un pôle gérontologique doit par ailleurs ouvrir à Nîmes en 2022. Organisé comme un « tiers-lieu », ce dispositif rassemblera un EHPAD, un SSIAD, une équipe spécialisée Alzheimer, un dispositif EHPAD@DOM et une maison en partage de 20 appartements pour des personnes âgées et des personnes en situation de handicap, disposant de revenus faibles. Il s’agit d’un dispositif synonyme de décloisonnement des services et des modalités d’hébergement, ainsi que d’adaptation des services aux besoins du parcours de chaque senior. Ces initiatives visent à disséminer sur les territoires les évolutions nécessaires pour une société de la longévité.